
Voici un texte qui rend compte d’une conférence organisée à Pontarlier le 13 mars 2019 par la Confédération Paysanne sur le thème ; « Lait à comté et réchauffement climatique ». Rédigé pour être accessible aux non-spécialistes des questions agricoles, il n’a pas la prétention de rendre compte de toute la richesse des discussions et notamment de tous les aspects techniques. Mais, compte tenu de la diversité des participants, il donne une idée sur la manière dont le débat est engagé sur ce thème dans les milieux agricoles en Franche-Comté. Et c’est plutôt encourageant pour l’écologie…
Le 13 mars 2019, à Pontarlier, la Salle Morand était pleine à craquer pour écouter Mathieu Cassez, ingénieur agronome, parler des conséquences du réchauffement climatique sur la production du lait à comté. Plus de 150 personnes – en majorité des agriculteurs – avaient ainsi répondu à cette initiative de la Confédération Paysanne. En Franche-Comté, l’AOP comté c’est 2 500 exploitations, 150 fruitières et 13 affineurs, soit 14 000 acteurs qui vivent directement de la filière. C’est dire son importance. En se gardant d’être « Madame Irma », Mathieu Cassez s’est livré à un exercice difficile mais ô combien important : d’abord évaluer les conséquences du réchauffement sur la pousse de l’herbe en abordant différents scénarios, puis évoquer différentes mesures d’adaptation.
Les conséquences d’un réchauffement bien réel
La sècheresse de l’été 2018 a sans doute convaincu les derniers sceptiques sur la réalité du réchauffement climatique. Il y a même des scénarios catastrophe où le climat de Besançon ressemblerait à celui de la Toscane en 2050 et à celui de la Grèce en 2080, avec une augmentation de + 4 °C en 2100. Dans ces conditions, y aura-t-il encore des vaches et du comté en 2050 ? Ou bien les paysans francs-comtois devront-ils passer à l’élevage des chèvres ?
Ce qui est sûr, c’est que le réchauffement va modifier la pousse de l’herbe. Les chercheurs ont modélisé cette évolution : la pousse sera plus précoce, mais elle va être interrompue pendant l’été pour reprendre un peu à l’automne si la sècheresse ne dure pas trop longtemps. En effet, la période sans pluie pourrait durer jusqu’à quatre mois et demi. Une partie variable du fourrage devra donc servir à nourrir les vaches pendant l’été.
Mais ce n’est pas la seule difficulté puisque la météo va devenir aussi plus chaotique. On prévoit au printemps des épisodes de fortes pluies, à plus de 50 mm par jour. Dans ces conditions, dans des prairies détrempées, le pâturage des vaches risque de saccager les sols et il sera difficile de récolter et de sécher le foin.
Globalement, le rendement dans la production d’herbe va forcément diminuer sensiblement sur l’année, de 14 % dans le scénario le plus optimiste, mais de 23 % dans un scénario pessimiste. L’élevage franc-comtois va bien devoir s’adapter.
Pour s’adapter, faudra-t-il diminuer la production laitière ?
Mathieu Cassez pose d’entrée les deux directions à prendre pour s’adapter : soit on peut trouver les moyens de compenser la baisse de la production d’herbe, soit il faudra diminuer le nombre de vaches. Comme la durée de la pousse de l’herbe va globalement décroître, on peut éventuellement améliorer la gestion des effluents (fumier, lisier), avoir davantage recours aux engrais ou augmenter la part de prairies artificielles. Mais ce sont des solutions qui posent aussi d’autres problèmes, notamment environnementaux. Les agriculteurs pourraient avoir recours à l’achat de fourrage ou de davantage d’aliments complémentaires. Mais ça reste des solutions à la marge.
Le conférencier en vient donc au deuxième terme de l’alternative, la réduction du nombre de vaches. Le chargement actuel moyen est de 1 UGB/ha [1], il faudrait passer à 0,7 ou 0,8 et donc inverser la tendance de ces dernières années qui a été à l’intensification. La densité laitière actuelle est, selon les fermes, de 2 000 à 4 000 litres de lait par hectare. Mais ces dernières années 20 % des élevages sont passés de 3 000 à 4 000 L/ha. Dans le contexte du réchauffement, cette tendance va s’inverser.
Et si on passait toute la filière comté au bio…
Pour l’instant, la filière comté se porte bien. Entre 2014 et 2018, le lait à comté est passé en moyenne de 460 à 533 € la tonne, alors que le lait « standard », nettement moins bien rémunéré, subissait les fluctuations du marché. Pourtant cette croissance n’a pas mieux rémunéré le travail puisque le surplus de revenu a été dépensé en achat d’engrais ou d’aliments, en mécanisation ou en investissements dans les bâtiments. Un représentant du Crédit agricole a confirmé, dans le débat, qu’il y avait bien du surinvestissement.
Le conférencier en vient à aborder la question des nouveaux enjeux dont il faudra bien tenir compte :
- la nécessaire réduction des gaz à effet de serre. Or le recours à trop d’aliments complémentaires (soja) ou l’artificialisation des prairies les augmentent ;
- la préservation de la ressource en eau. A 0,7 UGB/ha, les conséquences sur les nappes phréatiques et les rivières seraient moindres ;
- la limitation de l’érosion de la biodiversité, provoquée par l’intensification ;
- la limitation de l’impact sur les paysages en arrêtant la pratique du « casse-cailloux ».
Si la croissance de la production laitière ne signifie pas forcément une amélioration du revenu des agriculteurs, la baisse de volume pourrait néanmoins permettre le maintien du chiffre d’affaire, grâce à l’augmentation des prix, à condition de passer à l’Agriculture biologique. Pour Mathieu Cassez : « Soit on organise la décroissance, soit on va la subir par le climat, dans la douleur ». La généralisation du bio dans les cantines scolaires pourrait soutenir la filière bio généralisée dans la production du comté.
Ne pas oublier les questions politiques
Le scénario « Vert », celui du passage au bio, pourrait s’appuyer sur un cahier des charges renforcé du comté pour limiter la taille et la productivité des exploitations et favoriser des pratiques respectueuses de l’environnement. D’ailleurs Claude Vermot-Desroches, l’ancien président du CIGC [2], et Alain Mathieu, le nouveau, étaient présents au débat, pas convaincus par le « tout bio », mais tous deux bien décidés de s’impliquer dans la recherche de solutions collectives exigeantes. Mais M. Cassez souligne que ce type d’organisation de la filière AOP est à contre-courant de la mondialisation et du « tout concurrentiel ». Il lance une boutade : « Pour les tenants à Bruxelles de la concurrence libre et non faussée nous devons être considérés comme une organisation de malfaiteurs… ».
Le réchauffement climatique exige une révision conséquente de la PAC qui est un enjeu important des prochaines élections européennes. Depuis sa naissance en 1962, c’est la vision néo-libérale qui s’est imposée : toujours plus de compétitivité pour produire au prix le plus bas, pour l’exportation. Ce modèle profite avant tout aux géants de l’agrochimie et de l’agroalimentaire. Il a eu des conséquences catastrophiques d’abord sur l’emploi par la disparition d’un grand nombre de paysans, mais aussi sur la biodiversité et sur la pollution de l’eau, de l’air et des sols avec comme conséquences des problèmes majeurs de santé publique. Dans la tradition des fruitières, les producteurs de lait à comté ont réussi à s’organiser collectivement et à résister au moins partiellement à ce modèle par une maîtrise des quantités produites, de la qualité et des prix. Une Politique Agricole ET Alimentaire Commune pourrait s’en inspirer. Il s’agirait d’encourager et de soutenir une agriculture qui réponde aux attentes des citoyens : alimentation saine, produits de qualité, respect du bien-être animal, maintien de la biodiversité, généralisation du bio, pratiques agro-écologiques… Une telle agriculture serait favorable à l’emploi et permettrait, comme le montre le prix du lait dans les territoires en AOP comté, une rémunération plus équitable de ses paysans.
Merci à la Confédération Paysanne d’avoir permis ce débat.
Gérard Mamet, membre de la commission agriculture et ruralité d’EELV
[1] UGB : Unité de Gros Bétail, c’est l’équivalent d’une vache laitière adulte. Une brebis, par exemple, ne vaut que 0,15 UGB, une génisse de 300 kg environ 0,5 UGB.
[2] CIGC : Comité Interprofessionnel de Gestion du Comté. Il comprend des représentants des producteurs de lait à comté, des fromagers (coopératives et privés) et des affineurs. Le CIGC rédige le cahier des charges et définit chaque année la quantité à produire.
illustration empruntée à Bastamag
article en pdf : Lait à comté et réchauffement climatique