Plan de relance national EELV — Volet agricole
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Diagnostic

La crise sanitaire est venue nous rappeler la fragilité d’un modèle agro-industriel, mondialisé et peu résilient. Ce modèle agrochimique détruit la biodiversité́ : disparition des insectes et des oiseaux, pollution des ressources en eau et des sols… et les derniers reculs autour des néonicotinoïdes au profit d’une filière industrielle qui favorise l’ultra-spécialisation des territoires, montre combien le gouvernement prend à l’envers le problème.

La course à la compétitivité — perdue d’avance — que ce modèle sous-tend altère le capital naturel irremplaçable et la résilience des territoires, quand il faudrait l’accroître. Chercher à produire des denrées « bon marché » revient à oublier tous les coûts induits supportés par le contribuable : aides agricoles, dépollution, santé, et les impacts néfastes de ce système exportateur pour les pays de Sud. Ce modèle ne peut non plus être soutenu au nom de l’emploi agricole : les décennies passées ont largement démontré que cette voie est le meilleur moyen de vider les campagnes des agriculteurs et de les pousser au surendettement et au désespoir, et ont montré la dépendance des exploitations industrielles nécessitant une main d’œuvre peu chère aux travailleurs saisonniers détachés, quand nous avons au contraire besoin d’un modèle agricole pourvoyeur d’emploi en sortie de crise.

L’épidémie de CoViD-19 nous invite aussi à mettre l’accent sur les enjeux de santé. Une alimentation trop riche en produits animaux issus de l’élevage industriel — dont la production d’aliments induit en outre une exposition aux pesticides et aux particules fines — contribue à ces risques sanitaires. À ce titre, la réduction des zones de non-traitement décidée arbitrairement en plein confinement va à l’encontre des règles sanitaires.

Enfin, en temps de crise, la vente de produits issus de l’agriculture biologique a crû plus vite que celle des produits de l’agriculture conventionnelle. Des simulations montrent que, malgré des rendements parfois plus faibles, ce système peut répondre à la souveraineté alimentaire non seulement française mais aussi européenne, tout en maintenant certaines exportations (scénario TYFA par exemple). Par ailleurs, la commercialisation de ces produits repose sur un partage de la valeur plus équitable, qui irrigue l’économie des territoires, respecte les producteurs et les personnes qui y travaillent.

Analyse critique des mesures proposées

Un plan de relance sur son volet agricole qui fait la part belle à la modernisation de l’agroéquipement, comme une nouvelle tentative de verdissement du productivisme agricole qui va aider le « big data » en agriculture (agriculture connectée, de précision…) plutôt que les solutions fondées sur la nature, qui fonde le travail des paysan·ne·s. Et quid de leur revenu et de leur autonomie quand cette nouvelle course à la modernisation profitera une fois encore aux grands groupes agro-industriels ?

Les solutions proposées sur l’autonomie protéique sont envisagées à l’échelle industrielle et auront peu d’effet, parce qu’il reste plus rentable de produire du maïs/soja ou des céréales plutôt que des protéagineux. Plus qu’un grand plan sur l’autonomie protéique française, il faut engager une transformation de nos élevages vers une autonomie à l’échelle de la ferme ou d’un territoire, et en finir avec l’ultra-spécialisation de nos régions.

Les mesures proposées pour assurer le renouvellement des générations sont également bien insuffisantes. La campagne de communication prévue ne lèvera pas les contraintes auxquelles les hommes et les femmes intéressé·e·s par l’agriculture font face : investissement, accès au foncier, faibles revenus, fortes contraintes horaires, pénibilité… Les formations à la négociation collective, bien qu’intéressantes, ne permettront pas une inversion du rapport de force entre acteurs et actrices des filières alimentaires. Le renforcement des filières de haute qualité offrant des niveaux de revenus élevés pour les agriculteurs et les agricultrices est nécessaire tout comme le rééquilibrage, par la puissance publique, des marges des différents acteurs et actrices. Enfin, sans réorientation des aides, les inégalités entre agriculteurs·trices perdureront.

Concernant les abattoirs, rappelons que les grands abattoirs se sont avérés être des foyers très importants de CoViD-19, partout dans le monde ; pour cette raison, mais aussi pour améliorer le bien-être des animaux (limitation du stress ante-mortem par absence de transports longue distance notamment), il conviendrait ici de déployer l’abattage mobile à la ferme et remettre en activité les abattoirs de proximité adaptés à des productions de qualité.

Concernant les propositions sur la transition agroécologique de l’agriculture, celles-ci restent sémantiques et peu opérationnelles, sans vision sur une sortie des pesticides ou faites pour favoriser une fois encore des filières qui échappent aux producteurs : stratégie de la « bonne dose au bon endroit » plutôt que soutien massif à l’agriculture biologique, envisagée uniquement sous l’angle des méga-filières

Des points intéressants sont néanmoins à souligner : une augmentation des Plans Alimentaires Territoriaux (PAT) et la prise en compte de l’accessibilité sociale de l’alimentation, mais qui resteront lettre morte tant que nous ne modifions pas en profondeur la production agricole de nos territoires vers une diversification locale. Nous sommes loin de la mise en œuvre d’une véritable « démocratie alimentaire » et de la résilience. Enfin, les conditions de mise en œuvre de ces mesures, gérées de façon centralisée et en concertation avec les seuls représentants des « grandes » filières favorisent encore une vision industrielle au détriment des approches territoriales et des méthodes agroécologiques innovantes.

Enfin, les conditions de mise en œuvre de ces mesures, gérées de façon centralisée et en concertation avec les seuls représentants des « grandes » filières favorisent encore une vision industrielle au détriment des approches territoriales et des méthodes agroécologiques innovantes.

C’est une nouvelle fois la démonstration d’un recyclage du « monde d’avant », sans changements systémiques de nos modèles agricoles et alimentaires.

Nos propositions

Développer massivement les filières agroécologiques locales, socialement justes, respectueuses du bien-être animal, abandonnant les pesticides et limitant fortement les engrais de synthèse :

  • Mettre en œuvre un plan de développement d’une agroécologie paysanne à grande échelle, couplé avec une alimentation plus équilibrée, de meilleure qualité et une réduction du gaspillage alimentaire
  • Enrayer la concentration, la financiarisation de l’agriculture et l’agrandissement sans fin des fermes, avec une nouvelle politique nationale d’installation-reprise des fermes (levée des barrières à l’entrée pour favoriser les installations des candidat·e·s non issu·e·s du milieu agricole), une politique foncière interventionniste, une réorientation des aides à l’actif et non à la surface pour soutenir le revenu paysan, et un plan pour des emplois rémunérateurs, avec une pénibilité réduite et porteurs de sens dans l’agriculture et l’agroalimentaire.
  • Sortir de l’élevage industriel et engager la reconversion vers un modèle d’autonomie paysanne, à l’échelle des fermes et des territoires
  • En cohérence avec les stratégies « Farm to Fork » et « Biodiversité » de la Commission Européenne, soutenir la sortie des pesticides chimiques et la limitation des engrais de synthèse
  • Intensifier les recherches et l’information des citoyen·ne·s sur les liens entre perturbations environnementales et survenue des maladies chroniques, et déployer des ZNT riverains réellement protectrices
  • Appliquer strictement le principe pollueur-payeur pour tout ce qui touche aux pesticides et notamment à leurs impacts sur la population (pollutions des eaux par pesticides et nitrates, pollution de l’air, pollution des sols, pollution des aliments…)
  • Soutenir le développement continu de l’Agriculture Biologique (réinstaurer les aides « Maintien » dans la période de transition PAC comme préconisé par la convention citoyenne pour le climat, puis dans les futurs « Paiements pour Services Environnementaux », soutien aux réseaux de développement, à la formation et à la recherche en AB…
  • Déployer l’abattage mobile à la ferme et remettre en activité les abattoirs de proximité adaptés à des productions de qualité et à la réduction de la souffrance animale
  • Appliquer la loi EGalim pour assurer le revenu des agriculteurs et agricultrices et contrôler les prix aux consommateurs et consommatrices

Agir pour le climat et la biodiversité : l’agriculture à la fois cause, victime et partie de la solution

  • Stopper la destruction des haies dans l’espace agricole et mettre en œuvre un plan de développement de l’agroforesterie autour de filières « végétal local »
  • Rémunérer les pratiques agricoles favorables au climat et à la biodiversité (services rendus) et conditionner l’ensemble des aides publiques agricoles à des critères renforcés

Engager la résilience alimentaire de nos territoires

  • Accompagner la transition alimentaire et mettre en œuvre une « démocratie alimentaire » pour rendre les produits bio largement accessibles, massifier la vente directe, cadrer réglementairement les produits ultra-transformés (de la publicité jusqu’aux process de transformation et compositions acceptables), promouvoir une alimentation plus végétale…
  • Soutenir une résilience alimentaire à l’échelle des territoires et des familles : dé-spécialiser les régions (encourager la re-diversification des productions), créer des « Territoires à agriculture positive » qui développent des partenariats entre territoires de consommation et de production pour sécuriser les échanges commerciaux et multiplier les circuits-courts et de proximité
  • Structurer un fonds public/privé pour organiser des filières de territoire et de qualité qui prennent en compte l’ingénierie de projet : revoir les critères d’attribution du fonds Avenir bio et du Fonds Agrimer qui privilégient les gros projets industriels au détriment de l’innovation territorialisée. Décentraliser leur gestion au niveau régional et en concertation avec toutes les organisations agricoles et agro-alimentaires
  • Reconquérir notre souveraineté alimentaire : faire cesser la dépendance au soja OGM d’Amérique du Sud pour l’alimentation du bétail élevé en mode industriel, mais aussi aux intrants chimiques basés sur les énergies fossiles (engrais azotés de synthèse, pesticides), ainsi qu’à la main d’œuvre détachée précarisée, sans nuire à la souveraineté alimentaire du reste du monde par nos exportations subventionnées (surtout pour les pays d’Afrique subsaharienne contraints de réduire leurs droits de douane dans leurs Accords de Partenariat Économique — APE — avec l’UE).
  • Garantir la participation effective des citoyen·ne·s dans les instances gérant les questions agricoles et alimentaires (chambres d’agricultures, agences de l’eau, instituts de recherche, commissions agricoles, ONG dont les organisations de solidarité internationale).

Retrouvez nos propositions dans ce document.